Les jambes noires

En 1990, après l’école secondaire, je me suis enrôlée dans l’armée de réserve. Au bout d’un an, j’ai bien vu que je n’étais pas une militaire dans l’âme. J’étais pacifiste et opposée à presque tout ce qu’on a tenté de m’apprendre pour vaincre un ennemi. Je ne savais vraiment pas quoi faire de ma vie. J’avais tenté d’y réfléchir à quelques reprises sans vraiment avoir trouvé de solutions. Je ne peux pas tout mettre sur le dos de ma transidentité. Elle avait beau en mener large, il y avait aussi un manque flagrant de préparation face à la vie. Je copiais imparfaitement ce que mes parents avaient faits en entrant dans leur vie d’adulte. Pour moi c’était plus important de gagner de l’argent que d’aller étudier je ne sais quelle matière et aboutir dans un « théorique emploi » que j’avais beaucoup de chances de trouver ennuyeux. Travailler n’avait rien d’amusant; je le faisais depuis toujours avec les tâches domestiques à la maison et les petits boulots occasionnels que j’avais. Après plusieurs emplois qui ne mènent nulle part, je me suis inscrite au CÉGEP Édouard-Montpetit en science humaine. J’avais une forme de pensée magique qui me disait qu’à force d’aller à l’école, je finirais bien par trouver mon chemin…

Quelque part à l’automne de 1992 en pleine crise « silencieuse » d’identité, j’ai quitté mes études sur un coup de tête. J’aurais dû faire inscrire la mention « abandon » à mes cours… Ces sept échecs m’empêcheront pour toujours d’avoir une cote « R » me permettant d’être admise à l’université dans un programme contingenté. Je retournerai aux études en 1994 au CÉGEP de Saint-Hyacinthe et je terminerai un DÉC en sciences humaines. Un DÉC sans aucune valeur pour entrer à l’université à cause des échecs de 1992. J’irai à l’université en tant qu’adulte et étudiante libre en 1996. Néanmoins, tout espoir de diplôme dans un programme de mon choix était devenu mince; une erreur de jeunesse! Conséquemment à une certaine pression familiale plus ou moins consciente, je traînerai longtemps une faible estime de moi due au fait de n’avoir jamais obtenu de diplôme universitaire.

Revenons en 1994…

Possiblement que je suis retournée au CÉGEP pour finir ce que j’avais commencé bien que sachant pertinemment que je perdais mon temps. J’espérais trouver ma voie en cours d’étude. Ça n’est jamais arrivé. Ne voulant plus aller au CÉGEP Édouard-Montpetit, j’ai décidé d’aller au CÉGEP de Saint-Hyacinthe. Je me suis fait des ami.e.s et je suis même devenue amie avec mon professeur de français. Il avait 4 ou 5 ans de plus que moi. C’était l’une de ses premières charges de cours. Notre amitié s’est construite sur les longs trajets d’autobus. Moi, j’avais au moins 30 minutes voire plus l’hiver, avant de me rendre chez moi à Otterburn Park. Tandis que lui n’avait pas moins d’une heure supplémentaire pour se rendre à son domicile du plateau Mont-Royal à Montréal. Pendant ces trajets on discutait beaucoup. C’était un passionné de lecture et plus spécifiquement des grands auteurs de la littérature française. Quand on connaît une petite ou une grande partie de l’histoire de quelqu’un, la personne acquiert parfois un statut respectable dans notre esprit et c’est ce qui s’est produit. Sans être en accord avec la totalité de ses propos, j’adorais discuter avec lui. De même, je respectais vraiment l’intégrité de l’homme. A priori, on aurait pu penser qu’il me noterait de façon favorable. Au contraire, à mesure qu’il apprenait à me connaître, il devenait de plus en plus critique envers mes écrits. Je savais que c’était parce qu’il voulait sincèrement m’aider à pousser mes limites plus loin. Son cours était difficile mais enrichissant; je savais que ce que j’avais je le méritais réellement.

Vers la fin de la session est arrivée le vrai test d’écriture. Le professeur de français voulait que l’on écrive un texte de quelques pages sur le thème du désir. Ça pouvait être quelque chose de matériel, d’abstrait, de drôle, de triste peu importe en autant que ça traite du désir. Le désir quelle abstraction quand même! J’avais 21 ans, j’avais fait quoi dans la vie? J’avais travaillé, fait ce qu’on m’avait dit de faire pis pas trop réfléchie en chemin sur ce que je désirais vraiment. Possiblement qu’en ayant une discussion sur le sujet avec mes collègues de classe de l’époque, on a sûrement parlé de sexe? « Tsé veux dire », de quoi parle-t-on quand on fait référence au désir? La plupart d’entre-eux étaient encore des ados de 17 ou 18 ans remplis d’hormones. Moi-même, j’étais une ado attardée qui vivait chez ses parents. Le sexe pour moi n’était pas un terrain glorieux. J’avais eu quelques « essais intimes » à 17 ans avec une fille de 19 ou 20 ans. Elle en savait beaucoup plus que moi sur le sujet. Est-ce que j’avais vraiment désiré ardemment quelque chose jusqu’à maintenant? La réponse était, en apparence, non. Bien sûr, je voulais de l’argent, une voiture et possiblement un appartement. Seulement, ce n’était qu’une forme de conformité sociale. Tout le monde autour de moi ou presque en espérait autant. Mais il y avait ce fameux secret inavouable que vous connaissez tous et toutes, j’étais trans. Le voilà le désir que je n’avais pas le droit d’avoir. Le désir d’être quelqu’un d’autre dont j’ignore tout. Comment savoir ce que goûte le wasabi si on en a jamais mangé? Mes ébats intimes m’étaient très inconfortables autant physiquement que mentalement. Je n’avais aucun instinct sexuel masculin; je n’arrivais pas à me laisser complètement aller. Parfois je pensais que ça pourrait être amusant puis l’instant d’après je me décourageais et je me trouvais toutes sortes de raisons pour motiver mon décrochage. J’étais au mieux médiocre en tant que partenaire intime. Une seule fois, j’ai constaté que ma partenaire a vraiment eu du plaisir. À la fin de l’acte, pendant qu’elle planait encore, j’ai ressenti une des plus intenses détresse identitaire de ma vie. J’étais très heureuse pour elle mais j’étais secrètement jalouse, désireuse d’être à sa place et pas juste au lit. J’aurai aimé travailler à la banque où elle travaillait. Porter fièrement des vêtements qui affirment ma féminité, marcher la tête haute et ressentir ce que c’est que d’être une authentique femme bien dans sa peau, sans être remise en question dans son genre ou son rôle social.

En pensant à cette unique fois, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai écrit un texte dans lequel j’ai ressenti chaque mot que je tapais. Le titre du texte, « Les jambes noires », faisait référence aux bas de nylon. Pour moi c’était un symbole exclusif de féminité; aucun homme ne pouvait en porter sans subir de préjudices sociaux. J’avais confiance en mon ami et professeur de français, alors je lui ai soumis le texte. Le cours suivant, avant même qu’il débute, il m’a fait signe de le suivre dans le corridor. Il m’a dit: « est-ce qu’il y a quelque chose dont t’aimerais me parler? » Panique totale! Dans ma tête, ma personnalité s’est déchirée. Mentalement crié: »aaahhhhhhhhhhhh! Qu’est-ce que je viens de faire? » Dans la vie réelle, j’ai tout nié en bloc en baragouinant que j’avais vu un documentaire et que j’avais tenté de projeter directement dans mon texte le désir exprimé par l’une des personnes interviewées. Ça sentait la « bullshit » à plein nez. Je savais qu’il savait mais il l’a joué diplomate pis m’a laissé m’en sortir avec cette piètre excuse. On est retourné en classe comme si de rien n’était. Je me suis vraiment sentie mal tout au long du cours. À quoi avais-je pensé en écrivant ce texte? Des fois on étouffe! À qui pouvais-je dire ma souffrance? Qui aurait bien pu m’écouter en 1994 quand le mot trans n’existait même pas et qu’on employait transsexuel.le de façon péjorative? Avais-je pensé que ça me soulagerait? En fait, oui, ça m’a soulagé de l’écrire. J’étais obnubilée par ce secret. L’écriture a toujours été un magnifique exutoire pour moi. Je n’avais jamais pensé à gérer les conséquences de mon acte. Le prof. l’a corrigé; j’ai eu une note ordinaire. Possiblement que j’étais trop enthousiasmée par le sujet, il manquait quelques déterminants à gauche et à droite. La construction de quelques phrases laissait à désirer et bien sûr, j’avais une pelletée de fautes d’orthographes. Je n’avais jamais rien vu même si j’avais révisé le texte à plusieurs reprises. Quand je le lisais, les larmes me venaient aux yeux, elles me faisaient perdre ma rationalité et ma concentration. À la fin du cours, il m’a remis le texte. Je me suis empressée de le cacher dans mon sac à dos. Je ne voulais pas qu’un de mes collègues de classe y jette un oeil. Ça aurait été ma fin; je n’aurais jamais pu supporter un deuxième questionnement dans la même journée. Un « coming out » raté? Une soupape pour ne pas exploser? Un peu des deux? À vingt et un ans, sans diplôme, sans support familial, dans un monde qui mettra au minimum 10 ou 15 ans avant de commencer à reconnaître le concept d’identité du genre, encore plus d’années à l’assimiler et avec le peu de confiance en moi que j’avais à l’époque, mes chances de survie à un « coming out » auraient été faibles. Surtout en constatant aujourd’hui comment la famille de mon père a mal réagi à mon réel « coming out ». Mes parents avaient de très bonnes relations avec ces gens; ils n’auraient peut-être pas été en mesure d’assumer ma transidentité.

Pour la suite des choses, j’ai développé une amitié avec mon professeur de français pendant quelques années. Puis la vie nous a fait suivre des chemins différents. Je me souviendrai toujours de l’une de nos discussions. Il soutenait que pour écrire, il fallait lire ce que les autres écrivent puisque ça aide à trouver l’inspiration. Je n’y croyais pas. Je croyais que le talent pur était nécessaire pour écrire. Ça expliquait pourquoi certains l’avaient et d’autres pas. Aujourd’hui, je ne suis plus en désaccord avec ce qu’il m’avait dit. Lire est définitivement nécessaire si on veut écrire. Dans une moindre mesure le talent aussi, sauf que je crois qu’un talent non alimenté de persévérance et de discipline ne vaut rien. Un troisième ingrédient est essentiel: l’expérience de vie. Sans elle, je ne vois pas comment rendre un texte accessible au plus grand nombre.

Qu’est-il arrivé au texte?

J’ai relu « Les jambes noires » à plusieurs reprises. Quelques temps plus tard, je l’ai même corrigé et bonifié pour ma propre satisfaction personnelle. Il est demeuré à jamais secret. Personne d’autre ne l’a lu. Au milieu de ma vingtaine, j’ai cru pendant quelques années, avoir vaincu ma transidentité. J’ai détruit le texte ainsi que d’autres preuves qui auraient pu être gênantes advenant qu’elles soient découvertes. Je le regrette encore aujourd’hui. J’aimerais rassurer la personne que j’étais. J’aurai aimé lui dire, preuve à l’appui qu’elle trouvera son chemin. Mais bon, les choses après être devenues pires sont devenues bien mieux pour moi. C’est pour ça que je ne regarde pas beaucoup en arrière. Je crois réellement que j’ai une belle vie et que les évènements sont arrivés juste à point. Dans mon cas, je me devais d’avoir acquis une certaine maturité avant d’agir. En plus, je crois que les plus belles années de ma vie sont encore devant moi. Alors, je suis assez motivée pour la suite des choses! 😉

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

Les lunettes sociales

Ce n’est plus secret pour qui que ce soit dans mon entourage, je suis une personne qui fait à sa tête. Quand j’ai décidé de faire une transition de genre, l’idée était de trouver paisiblement ma zone de confort sur plusieurs années. Je me rappelle qu’en début de transition j’avais peur de ne jamais arriver à avoir l’air féminine. D’autres femmes trans me disaient « fake it until you mean it ». Ces paroles n’ont jamais vraiment eu de résonance chez moi. Bien sûr j’aurai aimé être aussi naturellement féminine que la plus heureuse des petites filles qui soit devenue une femme. Mais, sincèrement, à part dans les films de Disney, est-ce que ces femmes existent réellement? Tsé, la vie ça nous oblige à nous adapter pour le meilleur ou pour le pire. J’étais une petite fille élevée comme un gars et on peut dire que j’ai vraiment cru que j’étais un vrai gars. Je me suis habituée à être perçue de cette façon et j’ai fait mon chemin avec les cartes qui m’ont été distribuées au départ. Est-ce que j’étais malheureuse? Oui et non. J’étais mal dans ma peau mais tout comme le fait que ma transidentité ne définit pas la totalité de ma personne actuelle, elle ne définissait pas non plus tout les aspects de ma vie d’avant. Quand j’étais en action, je n’y pensais pas. C’est la même chose aujourd’hui; le fait d’être en action me fait oublier que je suis trans. Par exemple le matin dans le métro si le regard de quelqu’un s’attarde trop longtemps sur moi, j’oublie souvent que c’est parce que je suis trans. Alors je fais comme j’ai toujours fait, c’est magique l’effet d’un sourire, alors je souris.

La vérité est que je ne subis peu ou pas d’assaut de la part du monde extérieur envers ma condition. Bien sûr, certaines personnes vont m’adresser la parole en disant « bonjour monsieur ». « So what », j’ai une apparence « entre les deux » avec des marqueurs sexuels au mieux ambiguës et une voix définitivement masculine. Cette voix, je l’ai pratiqué mais lorsque j’essaye de la projeter de façon féminine quelque chose sonne faux. Comme si je mentais… Le plus étrange est que j’aurais aimé passer facilement pour une dame. Sauf qu’avec la pratique de ma voix féminine, un phénomène totalement inattendu s’est produit; je suis devenue confortable avec ma voix masculine! Quel paradoxe! Il y a encore un an, je voulais me faire opérer les cordes vocales pour féminiser cette voix. Maintenant je ne suis plus certaine de vouloir être féminine au point qu’on ne sache pas que je suis trans. Pire, moi qui ne voulait tellement pas être trans (d’où mon « coming out » tardif dans la quarantaine), hé bien aujourd’hui, à force d’avoir des retours positifs de mon entourage sur la personne que je suis, ça me dérange moins.

Prendre le temps

10 ans, c’est le temps que je m’étais donné le jour de mon « coming out » pour trouver la femme que je suis. Il me reste encore un peu plus de 6 ans. J’ai été un enfant, un ado, un jeune adulte, un amoureux et un papa. Je suis fière de ce j’étais comme homme. D’ailleurs je suis encore papa, sauf que je fais mes propres règles de français maintenant. Papa est un terme biologique pour moi; je n’ai pas porté mes enfants; j’ai fourni le code génétique. Par contre, j’aime bien dire à mes proche que je suis « la » papa de mes enfants. C’est toujours un concept qui fait sourire et qui souvent mène à de belles discussions. Avec les étrangers ou les intervenants scolaires, je dis seulement que je suis « parent » de mes enfants. Généralement, ça leur suffit et si jamais ça ne suffit pas, je clarifie toujours les choses avec humour afin d’éviter un silence malaisant.

Il n’en reste pas moins que j’ai encore de la difficulté à me définir, surtout hors des milieux personnels ou professionnels. En fait, tout les endroits où mon rôle n’est pas prédéfini. Par exemple, lorsque je m’inscris à un cours quelconque et que je ne connais personne dans le groupe, j’ai de la difficulté à choisir la bonne attitude à adopter. Dans ces cas-là, vieux réflexe de personne introvertie, j’ai tendance à la jouer « profile bas ». Je me mets aussi à la place des gens. Ce n’est pas facile pour eux aussi de briser la glace. Les gens ont tendance à aller vers les gens qu’ils soupçonnent d’avoir certaines affinités avec eux. Quand ils voient une femme trans avec un corps ayant des traces évidentes de masculinité et une voix qui sans être une voix de baryton, n’est pas une voix féminine… Hé bien, ça crée une hésitation. C’est cette hésitation qui m’est fatale lorsqu’il s’agit de nouer des liens rapidement. Par contre, dans un groupe de personnes trans cette hésitation n’existe pas et généralement, comme disent les français, je « fais un tabac »! (lol) Blague à part, j’ai souvent de la difficulté à prendre ma place dans un nouveau groupe. En conséquence, c’est aussi dans ces circonstances particulières que je me fais le plus souvent mégenrer (action d’adresser la parole à quelqu’un en se trompant de genre; donc de me faire appeler monsieur). Les gens ne savent pas comment me considérer, ils veulent être polis mais la nervosité fait en sorte qu’ils se fient plus à l’impression physique qu’ils ont de moi plutôt qu’à ce que je suis psychologiquement. D’où la question de crédibilité. Je ne ressemble pas à ce qui est socialement considéré comme une femme. Encore là, qu’est-ce qu’une femme? J’ai vu des femmes beaucoup plus masculine que moi qui ne se font jamais appeler « monsieur ». Plus rarement certaines femmes très féminines mais avec des voix trop grave m’ont dit se faire appeler « monsieur » au téléphone et parfois en personne.

À tout les jours, on définit un peu plus qui l’on est. C’est un processus complexe qui fonctionne avec notre personnalité et l’interaction avec les autres. On a beau se sentir d’une certaine façon, si les autres nous disent toujours le contraire, ça finit par faire son chemin. Même si je me ressens femme et que je me sens acceptée par mon entourage, la société me pose des défis importants. Quand on veut quelque chose, il faut en payer le prix. Pour être perçue comme une femme, je dois avoir l’air d’une femme. Avoir l’air d’une femme après une vie où les hormones masculines ont fait ce qu’elles avaient à faire sur mon corps, ce n’est pas évident. Certaines choses peuvent être changées avec des hormones, une bonne nutrition ou un entraînement physique approprié. Sauf qu’il y a des limites et plusieurs d’entre elles sont inscrites dans notre code génétique, d’autres dans nos capacités psychologiques mais je dirais que la plupart sont dans notre compte en banque… Maquillage, épilation (et autres traitements esthétiques) ou chirurgies finissent par devenir nécessaire si l’on cherche la reconnaissance sociale. J’utilise « reconnaissance » à la place d’approbation sociale, parce que certains préjugés existent envers ceux et celles qui utilisent la chirurgie… Ce qui est, à mon avis, une grande incohérence sociale puisque les gens recherchent souvent la beauté qui en résulte.

Est-ce que je veux devenir une icône féminine?

Bien sûr que non. Si j’étais une femme (cisgenre/biologiquement féminine) moins attrayante j’en serai heureuse puisque j’aurais le privilège de me faire recevoir avec un « bonjour madame ». En ayant plusieurs traits physiques masculins, je m’expose à un constant regard social me donnant l’impression de nullifier mon parcours transitoire. C’est comme un dérivé direct de la pression sociale exercée sur les femmes afin que la beauté du corps féminins soit conforme à certain critère sociaux qui sont rarement logiques. J’ai été socialement un homme. Qu’est-ce qu’on exige d’un homme. Généralement un homme à le droit d’avoir une opinion et d’être en colère sans passer pour hystérique. Il peut être moins beau ou mal habillé, s’il est propre et qu’il est capable de fournir le travail intellectuel ou manuel exigé, ça va aller. Privilège? En fait, tous les êtres humains devraient être traités comme ça mais ce n’est pas toujours ce qui arrive en société… J’ai eu droit à ce traitement. J’ai eu droit de ne pas être jugée sur mon apparence physique. Je ne déteste pas mon corps. Il fonctionne bien, il n’est pas spécialement désagréable à regarder et il est en santé. J’aimerais gagner une reconnaissance sociale quant à mon identité de genre mais à quel prix? Je ne veux pas tout changer. De même que je ne veux pas acquérir une personnalité exagérément féminine pour compenser ce qu’il y a de masculin en moi. Je veux être plus féminine mais selon mes propres critères d’authenticité. Là dessus je suis lente, ça me prends du temps à me définir. Dans le même sens, en prenant mon temps, je m’expose à un regard social qui non-conforme à la façon dont je me sens, m’oblige à me protéger voire me cacher derrière mon ancienne masculinité. Ça explique certains non-dit chez moi. Comme, je ne me maquille que très rarement. Pourquoi? Parce que pour moi se maquiller est un geste très féminin. Étant donné que je ne le fais pas souvent, c’est quelque chose qui me prend beaucoup de temps. De même qu’il m’arrive, à la fin de l’exercice, de me sentir bien dans ma peau et d’être fière de la personne que je suis. Par contre je demeure fragile, si quelqu’un que ce soit volontaire ou non, me dit « bonjour monsieur » alors que j’ai pris la peine de me maquiller, je suis dévastée. C’est comme si j’étais totalement reniée dans mes aspirations et ça fait vraiment mal. Sans maquillage, je me sens en sécurité. Je me dis que c’est délibérément que je choisis d’être ambiguë, alors le pris à payer c’est d’être appelée « monsieur ». J’aimerais avoir la force de m’en foutre. Croyez-moi, j’aimerais me maquiller tous les jours. Mais bon, ce n’est pas si dramatique. Combien d’hommes et de femmes ne correspondent pas aux critères de beauté actuels et se font malmener par leurs congénères?

Des lunettes

Depuis ma quarantaine je dois utiliser des lunettes pour lire ou travailler sur mon ordinateur. Sans ces lunettes tout est flou et mal défini. C’est un peu comme ça que je me sens en société; on ne peut me lire que si on a les bonnes lunettes. Ça fait drôle à dire mais la société a besoin d’un examen de la vue. Avec les bonnes lunettes, on voit moins le corps, on n’entend moins la voix, on ne s’arrête plus à la façon dont une persnne se déplace ou bouge. Porter ces lunettes donnent la chance d’éliminer l’hésitation de départ. Elle donne la chance de discuter avec les gens, de percevoir ce qu’ils sont réellement au-delà de quelques caractères (voire caractéristiques) flous. Quand on discute avec moi, on s’aperçoit assez rapidement qu’on a affaire à une femme avec un vécu particulier et qu’au final je ne suis pas si différente.

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

Être bien dans sa peau

C’était évident que je finirais par aborder le sujet d’être bien dans sa peau; c’est un de mes buts de vie. C’est un concept qui pour moi, est parfois difficile à comprendre. On m’a éduqué que dans la vie il y a des choses qu’on peut faire et même qu’on doit faire et d’autres qui nous seront éternellement inaccessibles. Avec le temps, j’ai découvert que c’était plus ou moins vrai. C’est sûr qu’il y a des choses qu’on ne peut vraiment pas faire; comme nuire constamment aux autres. Les gens éduquent toujours par rapport à leurs propres limites et aspirations. Alors, ce qui est vrai pour quelqu’un l’est rarement pour son voisin. Quand j’étais enfants, ce que mes proches me disaient, c’était la vérité absolue pour moi. Je n’avais aucune expérience pour les contredire, aucune maturité psychologique pour m’opposer à eux et encore moins de connaissances pour savoir ce que j’étais. J’avais le sentiment d’être une fille tandis que mes parents étaient persuadés que ce n’était qu’une phase qui serait vite passée. Comme la phase ne passait pas, chaque comportement étaient réprimandés avec un peu plus de fermeté. Je n’étais pas constamment grondée, l’éducation est beaucoup plus subtile que ça. Une partie de notre éducation est indirecte. Par exemple, il pouvait s’agir d’une situation à la télévision où l’on voyait un comédien se travestir pour se moquer de la condition féminine ou encore de personnes travestis. Le discours était direct, ostracisant et violent. Pourtant tout le monde riaient dans la maisonnée. Éducation indirecte; qui aspire à devenir le dindon de la farce?  La seule solution que j’ai envisagé était de me conformer à ce que l’on voulait de moi. Je ne voulais pas devenir une cible ou pire, perdre l’amour de ma famille. Je suis devenue une « collaboratrice du pouvoir » en place pour ne pas être rejetée. C’est aussi un tribut qui avec les années, devenait de plus en plus lourd à porter; c’est demandant de toujours jouer un rôle afin d’être simplement acceptée. Il y avait un prix à payer à s’ignorer de la sorte; je n’ai pas su qui je suis pour la plus grande partie de ma vie.

J’ai toujours eu le sentiment que mon corps était un véhicule pour mon cerveau. Je n’y accordais aucune importance mise à part les règles d’hygiènes élémentaires. Autre effet, quand je me regardais dans le miroir, c’était comme entretenir un objet afin qu’il fonctionne bien. Au niveau intellectuel, je n’estimais pas mon histoire personnelle et je n’avais aucune idée de la direction que je voulais que ma vie prenne. Ça explique pourquoi j’ai abandonné mes études et que j’ai fait plusieurs petits boulots simplement pour survivre sans réellement de plans qui m’auraient fait avancer. Pour le dire plus simplement, c’est comme si je voyais ma vie à la troisième personne. Un peu comme dans un jeu vidéo où l’on aime bien le personnage qu’on incarne mais aussi où l’on se fout de ce qui arrivera au personnage après la partie. J’avoue que c’est un peu exagéré comme exemple mais l’idée derrière ça est que je ne m’impliquais pas dans ma vie. J’avais toujours une distance émotionnelle face à ma vie, comme pour me protéger de la douleur de ne pas pouvoir être la personne que je voulais être. Être bien dans ma peau était définitivement le contraire de ce que je vivais. Encore fallait-il que je reconnaisse que j’avais une peau! La vraie phase, si phase il y a eu, c’était de me cacher derrière mon apparence masculine afin qu’on ne découvre pas ma vraie nature. Comme tout ça est maintenant derrière moi, je suis en processus pour m’approprier mon propre corps. C’est un peu gênant parce que la plupart des gens ont passé cette étape pendant leur enfance. En même temps, c’est stimulant parce que je découvre une toute nouvelle façon de vivre qui inclut mon corps et l’envie de l’habiter. Je n’aurai jamais des caractéristiques totalement féminines. C’était (et parfois ça l’est encore) une grande source de détresse pour moi. Je me disais: « est-ce qu’un jour quelqu’un reconnaîtra la femme que je suis réellement? »

Ne pas se sentir bien dans sa peau n’est pas un apanage exclusif des personnes trans. Je crois que c’est universel autant chez les hommes que chez les femmes. La pression sociale exerce un énorme pouvoir quant à la façon de se concevoir et aussi de s’aimer soi-même. Je lis souvent des biographies; l’expérience de vie des autres m’inspire beaucoup et fréquemment elle donne des réponses à certains questionnements qui me sont propres. Le dernier livre que j’ai lu parlait d’une dame qui a réussi dans la vie malgré un surpoids persistant. Toute sa jeunesse elle avait été persécutée à cause de son tour de taille. Cela affectait sa confiance en elle et son estime d’elle-même. Elle n’était pas un canon de beauté selon les critères partiaux de son entourage et pourtant elle a réussi professionnellement mais surtout personnellement à s’aimer. Malgré un contexte différent, on mène la même lutte; celle de ne pas correspondre à une « case » socialement valorisée. Ce qu’on représente aux yeux des autres dépend beaucoup de la façon dont on se perçoit. Si on ne s’aime pas soi-même, on entre dans un effet domino qui peut mener à la catastrophe.

Autrefois, éducation conservatrice oblige, je voyais toutes formes d’améliorations esthétiques (maquillages, soins de la peau ou autre) d’un mauvais oeil. Quand j’y pense aujourd’hui, cette vision des choses est réellement absurde. Quand on ne s’aime pas, on ne fait rien pour nous-même et souvent on est très peu motivée dans la vie. On remet inconsciemment tout notre pouvoir au jugement et au regard des autres. Moi, j’étais épuisante quand j’étais en couple parce que je n’avais pas un bon équilibre entre l’amour de soi et l’amour de l’autre. Un jour une femme avec qui j’étais m’a dit: « comment veux-tu que l’on t’aime, tu ne t’aimes pas toi-même. » J’ai été longtemps vexée parce cette réplique. Premièrement parce que la personne avait raison et deuxièmement parce que j’étais désemparée pour trouver une solution à ce problème; je ne savais pas ce que ça voulait dire s’aimer soi-même. Ce n’est pas un concept que je maîtrise totalement aujourd’hui. Par contre, j’en prends de plus en plus conscience de jour en jour. Aujourd’hui, je suis heureuse de la personne que j’ai été, de la personne que je suis et de la personne que je deviens. Mon expérience unique de la vie fait que je suis la personne que je suis.

Je ne suis plus contre le fait de vouloir être belle. Mais attention, quand je dis belle je ne parle pas des canons de beauté que l’on nous martèle sans cesse à l’esprit pour nous obliger inconsciemment à s’y conformer. Je parle de devenir belle à nos propres yeux. Bien sûr, il y a quelques règles auxquelles j’adhère. Par exemple, il y a certaines régions de mon corps que je préfère voir épilées. Je fais aussi plus attention à mon alimentation partiellement pour l’esthétisme mais la vraie raison c’est la santé. Je ne veux plus me négliger comme auparavant, on n’a droit qu’à une seul corps dans notre vie. Pour le reste, les changements que je fais que ce soit par chirurgie ou par épilation définitive, je les fais pour moi. J’ai accepté que je ne serai pas une femme typique. J’ai un corps en santé avec des capacités physiques qui sont très biens et qui se situent entre celles d’un homme et d’une femme. Je ne recherche pas à devenir un stéréotype féminin. D’ailleurs la majorité des gens ne cherchent pas à devenir des stéréotypes masculins ou féminins. Je cherche simplement à trouver un nouvel équilibre où je serai heureuse d’être. Tous les jours je m’aime un petit peu plus et ça me permet de mieux aimer les gens qui m’entoure. Sans être une recette universelle, je n’ai plus peur de faire appel à l’esthétisme pour apprécier l’image que le miroir me retourne. Chaque jour je me rapproche de la zone où je suis bien dans ma peau. Ça semble fonctionner parce que je deviens un peu plus heureuse au fil du temps. Enfin, j’adore les citations alors je vais vous laissez sur celle-ci: « Que vous pensiez être capable ou ne pas être capable, dans les deux cas, vous avez raison. » Henry Ford

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

La muse et le temps

La muse et le temps J’avais vraiment l’idée de vous parler d’un autre sujet. Mais quand la muse passe, il ne faut pas l’ignorer! Les muses étaient, chez les grecs anciens, les filles de Zeus un dieu olympien (tsé le dieu barbu qui vit au sommet du mont Olympe pis qui lance des éclairs quand il n’est pas content?) et de Mnémosyne une titanide (dieux primitifs qui étaient là avant les olympiens). Toujours selon les grecs, les muses étaient au nombre de neuf et inspiraient les humains. Elles avaient chacune son domaine de prédilection comme la danse, le chant, la poésie et ainsi de suite. Les muses inspirent. Sans connaître laquelle d’entre elles s’attarde à moi ce soir, après une journée de canicule sans air climatisé où même si l’on demeure assise paisiblement la sueur nous sort de la peau, elle est passée et m’a inspirée de vous parler du temps. Du temps qui s’écoule, mauvais choix de verbe c’est probablement à force de voir la sueur me perler sur les bras, je veux dire du temps qui passe. Ces mêmes grecs percevaient le temps de façon très différente que moi. Pour eux ils y avait le temps « chronos »; c’est le temps physique que nous connaissons avec les secondes, les minutes, les heures et ainsi de suite. Ils avaient aussi le temps « kairos » qui si je comprends bien, est qualitatif et se ressent. Du genre c’est le moment précis où vous sentez qu’il va se passer quelque chose ou bien que vous devez passer à l’action. Et la troisième partie du temps est le temps « aiôn ». C’est-à-dire quand il y a un avant et un après. Moi, j’associerais ce concept du temps avec le mot « époque » en français. Le plus curieux est que chez les êtres humains et à mon humble connaissance, il n’y pas d’organe ou de fonction spécifique dans le corps qui mesure le temps. En fait les êtres vivants sont extraordinairement adaptables à leur environnement et ils réagissent à leur environnement. Vous n’avez qu’à prendre l’avion jusqu’à un fuseau horaire assez loin pour faire l’expérience du fameux « jet lag ». Après un ou plusieurs jours, il est possible que vous vous réveilliez à la même heure que vous le faisiez chez vous. Sauf que ce n’est pas la même heure dans votre fuseau horaire d’origine. Le temps est une création humaine dérivée du jour et de la nuit et des saisons. La notion du temps change selon la culture de l’endroit où l’on est sur la terre. Je n’oserais même pas m’imaginer comment cela influencerait des colons sur une autre planète avec des cycles de jour et de nuit différents. Mais où vais-je avec cet article sur le temps? On a tous et toutes eu des époques dans notre vie. Quand j’étais enfant, mes parents étaient le soleil autour duquel j’orbitais. Bien que me sentant différente, je tournais dans le sens qu’on m’avait dit de tourner sans trop contester mais en me posant une multitude de

questions. Mes parents n’ont jamais connu l’ampleur de ces questions et encore moins les réponses ou les pistes de réponse. Ce n’est pas seulement parce que je suis trans, ça arrive aussi aux personnes qui ne le sont pas. Que ce soit au niveau du choix de carrière, de philosophie de vie différente, du choix des ami.e.s, conjoint.e.s ou autres, nos parents se révèlent souvent incapables d’y répondre. C’est normal puisqu’ils sont des êtres différents de nous avec des aspirations différentes dans la vie. En tant que jeune adulte, je vivais à un autre époque (temps « aiôn ») autant dans ma vie sociale que dans le temps lui-même. C’était un autre siècle ou pire encore un autre millénaire comme mes enfants aiment me le rappeler. J’étais une personne qui en apparence semblait confiante en elle-même et assez fonctionnelle en société mais rien n’était moins vrai. Je n’avais qu’une perception routinière du temps: métro, boulot, dodo avec une variante « journée de congé » qui comprenait plus de temps à littéralement ne rien faire. Ce n’était pas génial mais je ne connaissais pas autre chose. On ne m’avait pas enseigné autre chose. Pire encore, je n’étais même pas consciente que les choses pouvaient changer en mieux. J’exécutais ce que j’avais à faire en espérant le changement mais en faisant tout pour que rien ne change. Je découvrirai plus tard qu’il s’agissait d’une des définitions de la stupidité. C’est-à-dire faire toujours la même chose et espérer un résultat différent. Bon, stupidité est un mot un peu disproportionné dans la plupart des situations parce qu’il suppose que l’être stupide manque d’intelligence. Or, c’est très rarement le cas. Souvent c’est l’ignorance qui est en cause et non un manque ou un mauvais assortiment de connexions neurologiques dans le cerveau de la personne. Il me manquait un troisième concept du temps, le fameux temps « kairos ». Cette petite lumière verte qui nous dit que c’est le temps d’avancer dans la vie. Mais comment voir cette lumière verte qui vient de notre intuition si une grande partie de l’énergie qu’on investit dans notre vie sert à faire en sorte de la taire? Moi, j’étais une femme sans l’être. Donc, jusqu’à un certain point c’était clair mais mon éducation a brouillé les cartes jusqu’au point où rien n’était évident. Et vous? À moins que vous ayez été bénis à la naissance d’une intuition sans faille et que vous ayez eu le courage de l’écouter qu’avez-vous laissé derrière? Vouliez-vous être acteur/actrice, astronaute, chroniqueur/chroniqueuse de voyage qui fait des escapades à travers le monde, artiste, coopérant.e à travers le monde et la liste pourrait s’allonger à l’infini. Anecdote… Au CÉGEP, j’avais décidé que j’aimerais ça devenir écrivaine. Voyez, il y a même de

l’hésitation dans la façon dont j’ai construit la phrase précédente; j’emploie le conditionnel. À ce moment là, j’étais amie avec un de mes profs qui était à peine plus âgé que moi. Faut dire que j’ai arrêté le CÉGEP pis je l’ai recommencé plus tard. Un jour, en ayant une discussion avec ce prof je lui ai dit que je ne lisais pas ou enfin presque pas. Je ne voulais pas être influencée, par personne, dans mon écriture. Paresse intellectuelle? Peur de ne pas être originale? Pur orgueil de créativité? Peut-être un peu tout ça. J’avais très peur de l’échec donc je croyais qu’en faisant tout, toute seule, je contrôlerais toutes les étapes de ma création et ne serais confrontée qu’à moi-même en cas d’échec. Curieusement, je ne croyais pas que le succès, en écriture ou ailleurs, me soit accessible. Ce n’est que quelques années plus tard que je me suis mise à lire. Internet s’est progressivement immiscé dans ma vie à mesure que les modems ce sont mis à performer. Effet secondaire intéressant, j’ai aussi amélioré de beaucoup mon anglais parce qu’au début les sites en français étaient rarissimes pour le dire poliment. Sans m’en apercevoir quand je lisais, j’ajoutais une myriade de concepts dans mon esprit. Je changeais d’époque même si je demeurais toujours à des années-lumières de mes instincts et de mes intuitions puisque je les tuais dans l’oeuf. Alors le temps « kairos » était quelque chose dont j’ignorais l’existence. Le temps « kairos » J’ai travaillé pendant plusieurs années pour une congrégation religieuse. Je sais, c’est un peu paradoxal je suis non pratiquante et non croyante. Mais bon on a tous et toutes nos contradictions, non? Pendant toutes ces années, à une seule et unique occasion on m’a demandé de faire une prière, c’est lors du 11 septembre 2001. Malgré l’attentat terroriste, j’ai trouvé ça déplacé de leur part. Prier Dieu n’était pas (et ne l’est toujours pas) compatible avec ma spiritualité personnelle. Je l’ai fait pour me conformer, pour ne pas être le mouton noir du groupe. Puis je me suis dit que j’avais fait ça pour ne pas perdre mon emploi. Combien de choses fait-on pour ne pas perdre ce que l’on perçoit comme souhaitable. Combien de choses ne fais-je pas mais qu’il serait réellement souhaitable de faire pour moi? En y pensant avec un certain recul, il y avait beaucoup de craques dans la vitrine de ma réalité que j’ignorais ou plutôt que je refusais de voir au nom du statu quo. C’est l’épuisement, l’écoeurement, le découragement, peut-être même un instinct de survie profondément ancré en moi ou simplement la crise de la quarantaine (qu’en sais-je) qui m’a amenée à écouter le peu d’intuition qui me restait pour changer ma vie. Ça ne veut pas dire dire qu’après mon « coming out » tout était réglé. « My God » comme on dit en bon français, loin de là! J’avais juste compris que pour espérer un résultat différent, il fallait que je fasse les choses différemment et tant qu’à faire pourquoi ne pas aller où j’ai toujours voulu aller mais sans en avoir le courage? Ce réveil a été comme celui de quelqu’un qui est « cliniquement mort » sur la table d’opération et qui se fait ramener à la vie par défibrillation cardiaque. La pulsion de vie venait de l’extérieur. Métaphoriquement mon coeur devait

réapprendre à battre par lui-même pour que le temps « kairos » se manifeste. Mais comment on fait ça? Sincèrement, je suis une débutante à ce niveau donc je ne vous donne pas de conseils parce que j’apprends « sur le tas ». J’ai cru découvrir que si je veux que mon intuition se manifeste et surtout qu’elle soit bonne, il faut que j’aie un plan basé sur des objectifs clairs que je veux obtenir. Certains de ces objectifs semblent superficiels comme aller à la plage en maillot de bain. Si vous saviez toute la dysphorie que j’ai à combattre pour un geste aussi simple. Être bien dans ma peau est un objectif difficile mais atteignable avec beaucoup de discipline. Naturellement, j’ai l’objectif d’être heureuse mais ce n’est pas tout, il faut définir clairement notre version du bonheur si on veut l’atteindre. Hormis tous les autres objectifs en chemin, un de mes plus grands objectifs après ma transition est de devenir prospère financièrement pour moi et mon entourage. Enfin, je veux avoir les moyens de mes ambitions pour aider les gens. Pour moi avoir des objectifs, ça fait toute la différence. Mais il me manquait encore une dernière chose, c’était une échelle de temps. Vous savez, c’est le même principe lorsque vous voulez rencontrer quelqu’un; ça prend un lieu et une heure. Sinon, bonne chance! Maintenant, imaginez le temps « kairos » comme la voix de « google map » qui vous dit: « dans 100 mètres tournez à gauche ». « Kairos », une fois tous les paramètres de notre vie bien entrés, nous envoie les intuitions aux bons moments sauf qu’il est comme une muse et si je ne l’écoute pas, il va se mettre à me bouder!

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

L’identité d’une personne

Dans le dernier article, j’ai fait une mini biographie de qui j’étais. Je vous ai mentionné que j’étais une personne trans et j’y suis peut-être allée un peu rapidement sans vraiment expliquer ce qu’est une personne trans. La réponse à cette question est souvent assez vague; il y a autant de diversité chez les personnes trans que chez celles qui ne le sont pas. Par contre, les mentalités ont beaucoup changé ces dernières années. C’était bien différent dans les années où je fréquentais l’école secondaire (les années 80). À cette époque, on nous aurait qualifié de transsexuel.le.s ou parfois, par ignorance, certains disaient travesti.e. Sauf que les différences entre les personnes trans (identité de genre) et les personnes travesti.e.s (présentation de genre) sont énormes. Alors, laissez-moi vous démystifier tout ça. Il existe plusieurs théories sur l’identité des gens. Quelques-unes sont teintés d’idées qui se perdent en préjugés plutôt que de reposer sur une observation concrète des faits. Dans certains livres de psychologie, ce qui est associé au monde LGBTQ (Lesbienne, Gai, Bisexuel.le, Trans/Transgenre/Transsexuel.le, Queer et autres) est considéré comme étant de la maladie mentale. Heureusement, la tendance actuelle est à la dépathologisation. L’identité d’un individu est possiblement le résultat de la combinaison de plusieurs composantes; l’identité de genre, l’expression de genre, le sexe biologique, l’orientation sexuelle et naturellement, il y a toujours eu une composante socioculturelle. Les quatre premiers éléments sont évalués par rapport à un spectre ou si vous préférez une ligne droite avec deux opposés et une myriade de variations entre les deux. La dernière composante dépend de la façon dont ont a été élevé dans une société et une culture spécifique. L’identité de genre, c’est comment on se sent à l’intérieur en tant que personne; c’est généralement instinctif. Les deux extrêmes de cette droite sont : se sentir totalement « homme » ou totalement « femme ». Entre ces pôles, on peut se sentir partiellement homme ou femme dans n’importe quelle proportion ou ni l’un ni l’autre. L’expression de genre, c’est la façon dont on se présente aux autres dans la vie de tous les jours. Ça fonctionne sur le même principe que l’aspect précédent, on peut avoir une présentation totalement féminine ou masculine, quelque part entre les deux (androgyne) ou ni l’un, ni l’autre (style unique). Pour ce qui est du sexe biologique, c’est celui qui a été assigné à la naissance par le médecin. Certaines personnes sont typiquement mâle ou femelle (selon les critères scientifiques actuels) mais un pourcentage de la population est considéré comme étant intersexué; soit avec des organes génitaux mal définis ou encore posséder des caractéristiques dites à la fois mâle et femelle. L’orientation sexuelle aussi est un spectre très complexe partant de l’hétérosexualité, à la bisexualité jusqu’à l’homosexualité en passant par toutes les variations entre les pôles comme la pansexualité (être attiré par tout le spectre) ou même l’asexualité (ne pas être attiré sexuellement par qui que ce soit). Et bien sûr, il existe des composantes socioculturelles qui peuvent déterminer les individus par exemple chez certains peuples autochtones de l’Amérique du Nord, existe le concept de « two spirits ». Ou encore la caste des « Hijra » en Inde. Si vous n’êtes pas de la culture de ces

peuples, même si les descriptifs vous conviennent, vos origines ethnique ou culturelle vous empêcheront d’être qualifié selon ces termes. Des exemples? Une femme lesbienne (orientation sexuelle) pourrait se sentir féminine (identité du genre), avoir une présentation plus masculine (expression du genre) et un sexe biologique typiquement féminin selon les critères médicaux actuels. Certaines cultures associeront un nom spécifique à ce type de combinaison et d’autres pas. Dans le même ordre d’idée, une personne trans (identité du genre différente à divers degrés du sexe biologique déterminé à la naissance par un médecin), pourrait avoir une apparence féminine (expression du genre), être pansexuelle (aimer les gens peu importe leur sexe biologique, trans ou non) (orientation sexuelle), avoir ou avoir eu un sexe ayant été déterminé comme étant masculin à la naissance et posséder une appellation culturelle spécifique (ex: « Two Spirits » comme c’est le cas pour certains peuples d’origine amérindienne). Les combinaisons peuvent être très spécifiques voire uniques. C’est pour ça que lentement les organismes LGBTQ tendent à vouloir utiliser le terme « diversité » plutôt que de continuer à ajouter des lettres comme dans LGBTQQIP2SAA que j’ai déjà vu quelque part… En gros ce qui paraît simple au départ est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Dans le même sens, ce raisonnement ne s’applique pas seulement aux personnes trans. Les personnes non-trans que l’on nomme dans le jargon LGBTQ, des personnes « cisgenres » (Ce sont des personnes qui n’ont aucun problème avec l’identité de genre « homme » ou « femme » qui leur a été assignée à la naissance) font aussi partie de ces spectres. Par exemple, une personne avec une orientation sexuelle particulière peut très bien être une personne cisgenre. Selon cette vision des choses, les gens sont beaucoup plus diversifiés que cela ne le laisse présager dans nos sociétés actuelles. C’est vrai que certains trouveront que c’est une façon complexe de décrire la diversité de l’identité des gens. D’un autre côté, les sociétés humaines sont aussi des créations de l’esprit très complexes. Jusqu’à un certain point ce sont des fictions servant à fonctionner dans la réalité. Si vous pouviez demander à votre chat comment il trouve ça de vous voir partir travailler le matin pour gagner du papier (argent papier) ou des « 1 » et des « 0 » (argent électronique) pour que vous puissiez acheter des trucs qui n’existent pas dans la nature (ex: un téléphone cellulaire), il dirait sûrement quelque chose du genre « ils sont fous ces romains! » (pour paraphraser Obélix). C’est caricatural, j’en conviens, l’idée est simplement de prendre conscience que les conventions qui régissent nos sociétés… Ne sont que des conventions! D’autre part, je dois avouer que si je n’avais pas été une personne faisant partie de la communauté LGBTQ, je ne serais possiblement pas au courant de ces composantes de l’identité. Je me serais définie comme une personne en conformité avec son éducation et je n’aurais eu aucune raison de me redéfinir à ce niveau là. En tant que personne trans, j’ai senti qu’il était essentiel que je remette en question la façon dont on m’a éduqué. Où suis-je selon ce que je viens de décrire?

Selon les critères de l’identité que je vous ai décrits précédemment, j’ai toujours eu une identité de genre féminine. Malgré mon apparence physique, ma voix, ma façon de bouger ou de m’exprimer, je fais de mon mieux pour avoir une expression de genre féminine. Pour ce qui est de mon sexe biologique assigné à la naissance, c’était masculin. Quant à mon orientation sexuelle, je dois la redéfinir. C’est la composante socioculturelle qui me cause le plus de soucis; on m’a élevé pour que je devienne un homme. Par conséquent, j’ai beaucoup de difficulté à adopter des comportements semblables à ceux qu’une femme cisgenre a appris tout au long son éducation. J’y vois aussi plusieurs inégalités. Par exemple, on m’a inconsciemment donné le droit de m’exprimer comme un homme dans une société qui est de toute évidence favorable aux hommes. Une société qui (même si ça change) relègue souvent les femmes au second plan. C’est plutôt insidieux, à moins d’avoir un statut exceptionnel, une femme est souvent moins considérée qu’un homme de statut équivalent. J’ai toujours refusé que les femmes aient moins de valeurs que les hommes en société. Je suis ce qu’on appelle dans notre jargon de personnes trans, une « personne trans binaire » ou dans mon cas spécifique une personne trans « MtF » (« Male to Female ») ou une personne qui avait un corps d’homme et qui transitionne lentement pour avoir un corps qui s’approche de celui d’une femme. Il y a aussi des personnes trans « FtM » (Female to Male), même principe mais en direction opposée. Il existe aussi des personnes « trans non binaires »; ces personnes adoptent certaines caractéristiques généralement attribuées aux deux pôles de genre « Homme » ou « femme » dans des proportions variées. Ces théories sont en constante évolution et deviennent plus complexe à mesure que de nouveaux éléments y sont intégrés. Elles ont l’avantage de démarginaliser les personnes LGBTQ en permettant de les réintégrer dans un modèle de société qui parfois oppose des concepts plus rigides. En tant que femme d’origine trans, je me sens vivante. Je comprends mieux ce qui me manquait depuis le départ; vivre de façon authentique en acceptant qui je suis. C’est sûr que ça demande plusieurs ajustements. Je remets mon éducations en perspective et je me redéfinis selon des critères que je dois trouver moi-même par essai et erreur. Tout de même, je me sens privilégiée d’être bien entourée socialement et d’avoir une certaine facilité à me remettre en question. Bien sûr, je ne suis pas aussi féminine que j’aimerais l’être. Avec le temps, je vais trouver le compromis idéal entre la société, ce que j’aurais voulu être et ce qui me conviendra d’être avec tout ce que j’apprendrai à connaître et apprécier. Dans mon cas, faire mon « coming out » c’était toute une crise de la quarantaine! (lol) Mais on s’entend, cette crise n’est pas apparue du jour au lendemain. Tout était là depuis ma naissance. Cela a été une bonne chose de me remettre en question et de me donner la chance d’être ce que je dois être. Pour le reste, disons que je suis curieuse de voir la suite des choses…

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Un commentaire

Mon histoire

Mon histoire débute à peu près de la même façon que les autres. Dans mes plus vieux souvenirs, je prenais mon bain avec ma grande soeur et notre mère nous lavait. Je me souviendrai toujours d’avoir remarqué que moi et ma soeur n’avions pas le même entrejambe. Je me souviens aussi d’avoir demandé à ma mère pourquoi nous étions différentes et si j’allais, un jour, être comme elle et ma soeur? Ma mère m’a répondu que je suis un garçon et qu’elles sont des filles. Elle m’a expliqué avec des mots que je comprenais, ce que tout ça voulait dire. Ça m’a rendu vraiment triste. Par après, tous les soirs, je demandais en prière d’être une fille à mon réveil.

À l’âge de sept ans, j’ai eu mon premier contact direct avec la mort; ma grand-mère paternelle est décédée. Suite à cet évènement j’ai essayé, sans vraiment savoir comment faire, de vivre ma vie de fille en cachette; j’avais trop peur de décevoir mes parents. Sauf que je n’étais pas une enfant subtile, faire les choses en cachette n’a jamais été un talent naturel chez moi. À la première occasion, je me suis fait prendre à tenter de porter les vêtements de ma grande soeur. J’avais simplement le goût d’être une fille comme les autres. Sauf que ce n’était pas le plan qu’on avait pour moi. J’étais physiquement un garçon et un gars ne porte pas de vêtements traditionnellement assignés au genre féminin. Cette journée-là j’ai eu droit à tout un discours. Comment je me sentais n’avait pas d’importance. Que diraient les gens si mes parents me laissaient faire? J’étais un garçon et je devais adopter un comportement approprié.

À l’école, les autres étaient heureux d’être « fille » ou « garçon ». Moi, je me posais des questions et je savais que je ne pouvais en parler à personne. Ce genre d’aveu m’aurait classé instantanément dans la catégorie « cible à agresser » et mes parents auraient eu honte de moi. Au mieux, on aurait sûrement tenté de me faire rééduquer par des psychologues. Au pire, j’aime autant ne pas y penser… On était dans les années ’80 et des enfants/ados trans, officiellement, ça n’existait pas. J’ai su en première année du secondaire que j’étais une personne trans (ou transsexuelle comme on disait à ce moment-là) en lisant un dictionnaire Larousse médical sur l’heure du dîner à la bibliothèque de mon école polyvalente. En arrivant à la lettre « T », j’ai découvert le terme « transsexuelle ». Ce dictionnaire a mis de nouveaux concepts dans ma tête, il y avait des solutions à ma situation. Malheureusement, il mentionnait aussi que les personnes transsexuelles étaient des personnes souffrant de maladie mentale. J’ai tout fait pour vaincre ma condition de personne trans. Mon adolescence a été particulièrement déstabilisante. D’un côté, j’espérais secrètement que mon corps me donnerait un coup de main pour convaincre mon entourage que j’étais une fille. Évidemment, ça n’est jamais arrivé. J’étais en détresse psychologique; je ne pouvais rien partager de cette condition avec quiconque de mon entourage. De l’autre côté, j’étais aussi « socialement » satisfaite parce que personne ne saurait jamais rien de mon secret: De ma « maladie mentale ». Je vivais en plein paradoxe et j’essayais seulement de garder ma santé mentale, au propre comme au figuré.

Dans la vingtaine, j’ai cru que j’avais « gagné » ma guerre personnelle contre ce puissant sentiment/instinct qui me disait que j’étais une femme. Rien n’était plus faux mais ça je ne le saurai que des années plus tard. Le prix à payer était énorme. J’étais malheureuse et seule. Aucune vie amoureuse, aucune carrière, aucune ambition, aucun espoir d’arriver à quoi que ce soit. J’avais un sentiment constant de vide et une relation « mécanique » avec mon corps. Je prenais ma douche pour être propre et quand je me regardais dans le miroir c’était pour me brosser les dents ou me raser. Je ne me trouvais pas belle, ni laide. J’étais persuadée que l’amour ça n’arrivait qu’aux autres. En gros, je ne m’aimais pas et je ne me haïssais pas. C’était pire encore; je m’indifférais et j’ai longtemps eu l’impression d’être simplement une observatrice de ma vie. Puis j’ai déniché un emploi décent qui m’a permis d’accumuler des surplus monétaires; je m’étais habituée à vivre avec trois fois moins d’argent. Alors, j’ai commencé à voyager en Europe avec mon sac à dos. Ces voyages m’ont redonné un peu de vie et de confiance en moi. J’étais encore une personne troublée par sa transidentité mais en voyage j’avais le cerveau occupé à découvrir. J’ai fait de belles rencontres et lorsque je suis revenue de voyages j’avais beaucoup gagné de confiance en moi. Par la suite, j’ai rencontré la mère de mes enfants. Avec elle, j’étais persuadée que je pourrais vivre une vie d’homme et que ça pourrait être satisfaisant, alors nous nous sommes mises un couple. Dans la trentaine, c’est devenu plus difficile, je suis retournée à l’école faire un DEP en construction, je suis devenue parent à plusieurs reprises, j’ai vécu dans une maison que j’ai rénovée pendant plus de 7 ans et je suis devenue aidante naturelle de mon père pendant plus de 6 ans; il était atteint d’une maladie neurodégénérative extrêmement rare. Naturellement, mon couple n’a pas résisté.

À quarante ans, je quittais pour toujours la maison que j’avais construite. Je souffrais encore de ne pouvoir être moi, la vraie moi. Malgré ça, l’année suivante, j’ai tenté le tout pour le tout. Je devais battre cet instinct féminin, je devais battre ces sentiments profondément ancrés en moi. J’étais persuadée que la partie rationnelle de notre esprit avait le pouvoir absolu de tout contrôler. Je me souviens d’avoir dépensé une petite fortune en vêtements. Je crois même que je paraissais bien. Mon égo masculin savait que je pouvais passer pour un « vrai homme ». Contrairement à l’époque où je vivais avec la mère de mes enfants et que je me croyais guérie de ma transidentité, l’année après ma séparation m’a fait comprendre que ça ne partirait jamais. On a beau m’avoir élevée pour faire un homme de moi, faire en sorte de réprimer tout comportement considéré comme féminin et même de me faire intégrer inconsciemment des mécanismes auto-destructeurs dans la tête en cas de transgression des normes du genre, je n’avais plus le choix: la mort ou le « coming out ». Le premier jour de mes quarante-deux ans j’ai assumé ce que je suis; je suis une femme, je l’ai toujours su et ce, peu importe la force avec laquelle j’ai tenté de le nier. Mes trois enfants sont mes anges gardiens. Quand je le leur ai dit, ils m’ont acceptée pour ce que j’étais. Je les aime de tout mon coeur et ils me le rendent bien en m’aidant à m’accepter.

J’ai constaté les changements hormonaux après quelques mois de traitement. Ma perception de moi s’est mise à changer. Après des années de « regards mécaniques » dans le miroir, j’ai commencé à me regarder avec plus d’attention. J’aimais et j’aime encore les changements qui se produisent en moi et sur mon visage. C’était un sentiment inconnu pour moi, je commençais à aimer l’image que le miroir me renvoyait. Ça faisait des décennies que mon identité de genre me rongeait. Sans le savoir, ça me drainait une énorme quantité d’énergie. Quelque chose dont personne ne m’a jamais parlé s’est produit, j’ai commencé avoir une meilleure mémoire et de meilleures capacités cognitives de concentration et d’apprentissage.

Chaque jour j’aime un peu plus la personne que je deviens. Parfois, il m’arrive même de me trouver belle! Les personnes trans sont souvent très dures avec elles-mêmes sur les questions d’apparence. On n’efface pas des décennies d’hormones comme ça, il faut du temps, de la patience et aussi un peu d’aide; j’avoue que les soins esthétiques ont été et sont encore d’une très grande utilité. Particulièrement l’épilation qu’elle soit au laser ou par électrolyse. Bien sûr, ça prend du temps et je découvre à tous les jours de nouveaux sens au mot persévérance. Après une vie à vivre pour me conformer aux autres, ça me fait tout drôle de m’occuper de moi. Je vois bien les effets positifs sur ma confiance et mon bien-être. J’en suis maintenant à la mi-quarantaine et j’ai plus d’avenir maintenant que j’en avais il y a vingt ans! C’est tellement important d’être bien dans sa peau, de s’accepter comme on est et si en plus on peut avoir un petit coup de pouce pour mieux se sentir, pourquoi pas?

Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)

Publié dans Uncategorized | Marqué avec , , | Laisser un commentaire