La muse et le temps J’avais vraiment l’idée de vous parler d’un autre sujet. Mais quand la muse passe, il ne faut pas l’ignorer! Les muses étaient, chez les grecs anciens, les filles de Zeus un dieu olympien (tsé le dieu barbu qui vit au sommet du mont Olympe pis qui lance des éclairs quand il n’est pas content?) et de Mnémosyne une titanide (dieux primitifs qui étaient là avant les olympiens). Toujours selon les grecs, les muses étaient au nombre de neuf et inspiraient les humains. Elles avaient chacune son domaine de prédilection comme la danse, le chant, la poésie et ainsi de suite. Les muses inspirent. Sans connaître laquelle d’entre elles s’attarde à moi ce soir, après une journée de canicule sans air climatisé où même si l’on demeure assise paisiblement la sueur nous sort de la peau, elle est passée et m’a inspirée de vous parler du temps. Du temps qui s’écoule, mauvais choix de verbe c’est probablement à force de voir la sueur me perler sur les bras, je veux dire du temps qui passe. Ces mêmes grecs percevaient le temps de façon très différente que moi. Pour eux ils y avait le temps « chronos »; c’est le temps physique que nous connaissons avec les secondes, les minutes, les heures et ainsi de suite. Ils avaient aussi le temps « kairos » qui si je comprends bien, est qualitatif et se ressent. Du genre c’est le moment précis où vous sentez qu’il va se passer quelque chose ou bien que vous devez passer à l’action. Et la troisième partie du temps est le temps « aiôn ». C’est-à-dire quand il y a un avant et un après. Moi, j’associerais ce concept du temps avec le mot « époque » en français. Le plus curieux est que chez les êtres humains et à mon humble connaissance, il n’y pas d’organe ou de fonction spécifique dans le corps qui mesure le temps. En fait les êtres vivants sont extraordinairement adaptables à leur environnement et ils réagissent à leur environnement. Vous n’avez qu’à prendre l’avion jusqu’à un fuseau horaire assez loin pour faire l’expérience du fameux « jet lag ». Après un ou plusieurs jours, il est possible que vous vous réveilliez à la même heure que vous le faisiez chez vous. Sauf que ce n’est pas la même heure dans votre fuseau horaire d’origine. Le temps est une création humaine dérivée du jour et de la nuit et des saisons. La notion du temps change selon la culture de l’endroit où l’on est sur la terre. Je n’oserais même pas m’imaginer comment cela influencerait des colons sur une autre planète avec des cycles de jour et de nuit différents. Mais où vais-je avec cet article sur le temps? On a tous et toutes eu des époques dans notre vie. Quand j’étais enfant, mes parents étaient le soleil autour duquel j’orbitais. Bien que me sentant différente, je tournais dans le sens qu’on m’avait dit de tourner sans trop contester mais en me posant une multitude de
questions. Mes parents n’ont jamais connu l’ampleur de ces questions et encore moins les réponses ou les pistes de réponse. Ce n’est pas seulement parce que je suis trans, ça arrive aussi aux personnes qui ne le sont pas. Que ce soit au niveau du choix de carrière, de philosophie de vie différente, du choix des ami.e.s, conjoint.e.s ou autres, nos parents se révèlent souvent incapables d’y répondre. C’est normal puisqu’ils sont des êtres différents de nous avec des aspirations différentes dans la vie. En tant que jeune adulte, je vivais à un autre époque (temps « aiôn ») autant dans ma vie sociale que dans le temps lui-même. C’était un autre siècle ou pire encore un autre millénaire comme mes enfants aiment me le rappeler. J’étais une personne qui en apparence semblait confiante en elle-même et assez fonctionnelle en société mais rien n’était moins vrai. Je n’avais qu’une perception routinière du temps: métro, boulot, dodo avec une variante « journée de congé » qui comprenait plus de temps à littéralement ne rien faire. Ce n’était pas génial mais je ne connaissais pas autre chose. On ne m’avait pas enseigné autre chose. Pire encore, je n’étais même pas consciente que les choses pouvaient changer en mieux. J’exécutais ce que j’avais à faire en espérant le changement mais en faisant tout pour que rien ne change. Je découvrirai plus tard qu’il s’agissait d’une des définitions de la stupidité. C’est-à-dire faire toujours la même chose et espérer un résultat différent. Bon, stupidité est un mot un peu disproportionné dans la plupart des situations parce qu’il suppose que l’être stupide manque d’intelligence. Or, c’est très rarement le cas. Souvent c’est l’ignorance qui est en cause et non un manque ou un mauvais assortiment de connexions neurologiques dans le cerveau de la personne. Il me manquait un troisième concept du temps, le fameux temps « kairos ». Cette petite lumière verte qui nous dit que c’est le temps d’avancer dans la vie. Mais comment voir cette lumière verte qui vient de notre intuition si une grande partie de l’énergie qu’on investit dans notre vie sert à faire en sorte de la taire? Moi, j’étais une femme sans l’être. Donc, jusqu’à un certain point c’était clair mais mon éducation a brouillé les cartes jusqu’au point où rien n’était évident. Et vous? À moins que vous ayez été bénis à la naissance d’une intuition sans faille et que vous ayez eu le courage de l’écouter qu’avez-vous laissé derrière? Vouliez-vous être acteur/actrice, astronaute, chroniqueur/chroniqueuse de voyage qui fait des escapades à travers le monde, artiste, coopérant.e à travers le monde et la liste pourrait s’allonger à l’infini. Anecdote… Au CÉGEP, j’avais décidé que j’aimerais ça devenir écrivaine. Voyez, il y a même de
l’hésitation dans la façon dont j’ai construit la phrase précédente; j’emploie le conditionnel. À ce moment là, j’étais amie avec un de mes profs qui était à peine plus âgé que moi. Faut dire que j’ai arrêté le CÉGEP pis je l’ai recommencé plus tard. Un jour, en ayant une discussion avec ce prof je lui ai dit que je ne lisais pas ou enfin presque pas. Je ne voulais pas être influencée, par personne, dans mon écriture. Paresse intellectuelle? Peur de ne pas être originale? Pur orgueil de créativité? Peut-être un peu tout ça. J’avais très peur de l’échec donc je croyais qu’en faisant tout, toute seule, je contrôlerais toutes les étapes de ma création et ne serais confrontée qu’à moi-même en cas d’échec. Curieusement, je ne croyais pas que le succès, en écriture ou ailleurs, me soit accessible. Ce n’est que quelques années plus tard que je me suis mise à lire. Internet s’est progressivement immiscé dans ma vie à mesure que les modems ce sont mis à performer. Effet secondaire intéressant, j’ai aussi amélioré de beaucoup mon anglais parce qu’au début les sites en français étaient rarissimes pour le dire poliment. Sans m’en apercevoir quand je lisais, j’ajoutais une myriade de concepts dans mon esprit. Je changeais d’époque même si je demeurais toujours à des années-lumières de mes instincts et de mes intuitions puisque je les tuais dans l’oeuf. Alors le temps « kairos » était quelque chose dont j’ignorais l’existence. Le temps « kairos » J’ai travaillé pendant plusieurs années pour une congrégation religieuse. Je sais, c’est un peu paradoxal je suis non pratiquante et non croyante. Mais bon on a tous et toutes nos contradictions, non? Pendant toutes ces années, à une seule et unique occasion on m’a demandé de faire une prière, c’est lors du 11 septembre 2001. Malgré l’attentat terroriste, j’ai trouvé ça déplacé de leur part. Prier Dieu n’était pas (et ne l’est toujours pas) compatible avec ma spiritualité personnelle. Je l’ai fait pour me conformer, pour ne pas être le mouton noir du groupe. Puis je me suis dit que j’avais fait ça pour ne pas perdre mon emploi. Combien de choses fait-on pour ne pas perdre ce que l’on perçoit comme souhaitable. Combien de choses ne fais-je pas mais qu’il serait réellement souhaitable de faire pour moi? En y pensant avec un certain recul, il y avait beaucoup de craques dans la vitrine de ma réalité que j’ignorais ou plutôt que je refusais de voir au nom du statu quo. C’est l’épuisement, l’écoeurement, le découragement, peut-être même un instinct de survie profondément ancré en moi ou simplement la crise de la quarantaine (qu’en sais-je) qui m’a amenée à écouter le peu d’intuition qui me restait pour changer ma vie. Ça ne veut pas dire dire qu’après mon « coming out » tout était réglé. « My God » comme on dit en bon français, loin de là! J’avais juste compris que pour espérer un résultat différent, il fallait que je fasse les choses différemment et tant qu’à faire pourquoi ne pas aller où j’ai toujours voulu aller mais sans en avoir le courage? Ce réveil a été comme celui de quelqu’un qui est « cliniquement mort » sur la table d’opération et qui se fait ramener à la vie par défibrillation cardiaque. La pulsion de vie venait de l’extérieur. Métaphoriquement mon coeur devait
réapprendre à battre par lui-même pour que le temps « kairos » se manifeste. Mais comment on fait ça? Sincèrement, je suis une débutante à ce niveau donc je ne vous donne pas de conseils parce que j’apprends « sur le tas ». J’ai cru découvrir que si je veux que mon intuition se manifeste et surtout qu’elle soit bonne, il faut que j’aie un plan basé sur des objectifs clairs que je veux obtenir. Certains de ces objectifs semblent superficiels comme aller à la plage en maillot de bain. Si vous saviez toute la dysphorie que j’ai à combattre pour un geste aussi simple. Être bien dans ma peau est un objectif difficile mais atteignable avec beaucoup de discipline. Naturellement, j’ai l’objectif d’être heureuse mais ce n’est pas tout, il faut définir clairement notre version du bonheur si on veut l’atteindre. Hormis tous les autres objectifs en chemin, un de mes plus grands objectifs après ma transition est de devenir prospère financièrement pour moi et mon entourage. Enfin, je veux avoir les moyens de mes ambitions pour aider les gens. Pour moi avoir des objectifs, ça fait toute la différence. Mais il me manquait encore une dernière chose, c’était une échelle de temps. Vous savez, c’est le même principe lorsque vous voulez rencontrer quelqu’un; ça prend un lieu et une heure. Sinon, bonne chance! Maintenant, imaginez le temps « kairos » comme la voix de « google map » qui vous dit: « dans 100 mètres tournez à gauche ». « Kairos », une fois tous les paramètres de notre vie bien entrés, nous envoie les intuitions aux bons moments sauf qu’il est comme une muse et si je ne l’écoute pas, il va se mettre à me bouder!
Stéphanie Alyson Gravel (Stéphane nie…)